Que signifie réussir ?

Jean-Noël Dumont, professeur de philosophie

Les parents et les enseignants sont également soucieux de la réussite des enfants. Les premiers en raison de la promesse de bonheur qu’elle formule, les autres parce qu’elle manifeste la qualité de leur travail ; mais trop souvent, cette réussite tant convoitée n’est définie qu’à la mesure de nos inquiétudes ou de nos ambitions.

A quelle réussite devons-nous inviter nos élèves ?

Les parents sont bien légitimement désireux de voir « réussir » leurs enfants, mais l’on sait aussi assez que cette légitime ambition entraîne bien souvent les attitudes les plus mesquines, les aveuglements les plus ridicules. Face à cette agression quotidienne de parents et d’élèves qui luttent pour passer dans telle section prétendument plus prestigieuse, pour obtenir une année d’avance, une note supérieure, la tentation des éducateurs et enseignants est souvent de minimiser la réussite aux examens, le prestige des situations sociales. C’est le discours habituellement accepté et l’on affectera de ne pas songer au baccalauréat même si, dans le même temps, on adopte une pratique qui contredit tout à fait ce discours pieux. Comment faire pour que la relativisation de la réussite et des vanités ne soit pas qu’un coup de chapeau distant à une idée vertueuse et inopérante, respectée elle-même comme une convention sociale ?
Pour cela, au lieu de minimiser vertueusement l’examen, mieux vaut montrer la véritable source de la réussite, comment elle peut être liée à une légitime fierté sans avoir à payer le lourd prix de l’arriviste qui a vendu son âme. Réhabiliter la réussite sans rien concéder aux vices de l’arrivisme.

Une conversion du regard

Pour bien saisir l’enjeu de cette question, il me semble nécessaire de changer d’abord le regard que nous portons habituellement sur les êtres.
Ordinairement, ce que nous appelons perspicacité, lucidité se confond avec une pensée soupçonneuse et désenchantée qui dénonce les arrière-pensées, les intérêts cachés. Vous paraîtrez d’autant plus intelligent que vous serez moins admiratif, moins naïf. La psychologie nous paraît perspicace parce qu’elle suit la pente de cette pensée désabusée : il n’y a pas de philanthropie ! tous les hommes sont intéressés ! Avec un sourire entendu, la psychologie nous dévoile que les hommes sont plus intéressés qu’ils ne le croient : derrière les actes les plus généreux, les dévouements les plus sublimes, on démontera les ressorts de l’ambition, les rouages de l’égoïsme, les balanciers de la peur. Une telle intelligence est intelligence de délateur… parfois même on sera devenu si malin qu’on pourra se moquer de tel individu « trop » dévoué, « trop » travailleur !

Quelle éducation peut découler d’une telle conviction ? Comment éduquer si l’on est persuadé que les mouvements les plus élevés de l’intelligence, de la sensibilité sont réglés par des intérêts matériellement repérables ? Eh bien ! on se mettra en quête de « motivations ». Telle est la pédagogie la plus communément acceptée aujourd’hui, elle découle de la conviction que l’enfant ne peut pas découvrir un intérêt intrinsèque à ce qu’il fait. Il doit être éveillé par des stimulations qui vont chercher leurs raisons ailleurs. Qu’est-ce qu’une « motivation » sinon le but extrinsèque que l’on peut espérer obtenir ? Par exemple c’est une idée acquise chez les parents et les professeurs qu’un élève travaille mieux quand il sait ce qu’il veut faire plus tard ! Bien qu’elle soit chaque jour démentie par l’expérience, cette idée n’en est pas moins sans cesse répétée. Or la conséquence spirituelle en est grave : elle consiste à croire qu’aucun intérêt gratuit ne peut être puissant. Elle consiste à croire qu’il peut y avoir une pédagogie du leurre (comme, pour le canard, le leurre est une motivation). Non seulement une telle idée est inefficace, mais elle est perverse et court le risque d’empêcher l’éveil de la sensibilité et de l’intelligence.

A une intelligence de délateur correspond une pédagogie de manipulateur

Décidément il faut changer de regard ou les pédagogues deviendront semblables à ces prêtres romains qui ne pouvaient pas se rencontrer sans échanger un clin d’œil complice. Contre les rusés et les perspicaces, je rejoins le parti des imbéciles. Mieux vaut penser que la forme la plus haute de l’intelligence est dans l’admiration, on est alors dans un univers bien plus juste spirituellement. Admirons nos enfants, peut-être serons-nous dispensés de ruser avec eux.
Contre l’esprit du « on me la fait pas » , la vraie lucidité est de penser que l’homme est toujours moins intéressé qu’il ne le croit. Les explications que les hommes croient malin de donner de leurs actions sont souvent plus pauvres que leurs actions elles-mêmes, car en fait, les ressorts les plus puissants ne sont jamais ceux de la convoitise. Même dans la rapide passe d’armes qu’échangent le commerçant et son client, il entre un jeu où l’intérêt financier n’est pas premier.

Quelle pédagogie découlera de cette conception ? Si je me fonde sur la conviction que le plus réel est le plus spirituel, l’éducation consistera à révéler l’enfant à lui-même. Derrière les buts mesquins et grossiers que, par paresse, il croit seul rechercher, lui faire découvrir sa propre grandeur, comme d’être aimé nous fait découvrir que l’on peut être bon. Faisons donc cette conversion du regard et nous découvrirons que le monde ne tient debout que par quelques êtres qui existent gratuitement, que sans le moine en prière, la mère de famille disponible, le responsable qui ne compte pas ses heures, le poète qui s’émerveille, que sans tous ces êtres-là, la cité s’écroule. Nous découvrirons aussi que le calculateur, le malin, est le plus aveugle de tous. Que le Malin est le plus aveugle de tous.

Eloge de la réussite

Bien que chacun continue à chercher plus de pouvoir, plus d’avoir et plus de résultats, on a souvent aujourd’hui un discours officiel, moralisateur, qui discrédite la réussite. Elle est regardée d’un mauvais oeil comme le signe d’une injustice ou d’une corruption. Parfois même on essaiera de faire l’éloge de l’échec… Contre une vision de la justice qui est trop souvent pâture jetée à l’envie et à la hargne, il me semble bon de réhabiliter la réussite, mais à condition d’en comprendre les véritables moyens. La réussite est essentielle dans la mesure où elle est réussite de l’œuvre et qu’à travers cette réussite de l’œuvre se dévoile l’accomplissement de l’ouvrier. Perfectio operis et perfectio operantis.

Malentendu du créateur et du spectateur

Il y a en effet un malentendu concernant la réussite qui vient de ce que la réussite d’une oeuvre retentit souvent en réussite sociale. Lorsque la réussite sociale suit, et peut-être « récompense » la réussite de l’œuvre, nous avons tendance à croire que cet accroissement de pouvoir et de richesse était le but de l’ambition. Mais cela vient d’une erreur de perspective liée au point de vue selon lequel nous nous plaçons. Une chose est en effet de raisonner du point de vue de celui qui crée, une autre de raisonner du point de vue de celui qui constate les effets. Nietzsche nous a appris à distinguer ainsi sur l’existence un point de vue « actif » et un point de vue « réactif ». On croit par exemple que celui qui s’est enrichi a cherché à être riche. On va, pour l’imiter, chercher à son tour la richesse, mais, si on la trouve, ce ne sera que par hasard et dans l’amertume car, entre temps, il aura fallu beaucoup rabattre de sa dignité.

On croit que l’artiste a voulu être célèbre ; alors on va chercher la célébrité comme signe de réussite et détruire en soi toute source de création. On croit que le bon élève veut être premier, avoir une bonne note (bien sûr, cela ne lui est pas étranger) ; on va alors exciter la rivalité en croyant avoir trouvé les ressorts de la réussite et l’on va tuer l’intelligence. Bien d’autres situations encore peuvent être imaginées. En somme le roquet croit que le Saint-Bernard veut lui être supérieur parce qu’il ressent la supériorité du Saint-Bernard comme une blessure. Croyant avoir compris ce qu’est la force, on va chercher à faire du mal à son tour pour se donner le sentiment de la réussite. Que de malentendus ! Que de médiocrités se préparent ainsi qui font croire que les ressorts égoïstes sont les seuls ressorts puissants !

Efficacité et fécondité : dépouillement, gratuité

Au lieu de toutes ces démarches qui interprètent les actes de l’extérieur, mieux vaut regarder ce qui constitue en effet la réussite de l’œuvre. Pour cela, il faut bien comprendre que toute véritable efficacité (en tant que bonne gestion des moyens) ne trouve sa source que dans une fécondité. Si l’efficacité concerne l’organisation opportune des moyens en vue de la fin, si elle est comme telle une manifestation normale de la responsabilité, la fécondité, elle, sourd des qualités mêmes de l’être. Toute action véritable est le fruit de la vie intérieure : cela est vrai aussi bien de l’action politique, économique, sociale, culturelle, religieuse, etc. Quiconque se croit efficace en se détournant des exigences de la vie intérieure sera seulement une marionnette agitée et au fond inefficace. On en surprendrait beaucoup en leur montrant que la réussite est liée au dépouillement.

Par exemple, parlons de celui qui s’est enrichi. Il est parvenu là bien souvent par un sens du risque, de l’initiative, du travail qui est au fond gratuit et dont le profiteur est incapable. Ce ne sont pas ses calculs seuls qui lui ont permis de mener à bien son oeuvre, mais l’attention aux hommes qui a fait son rayonnement. Et c’est même par son dépouillement de toute volonté propriétaire, vaniteuse, qu’il peut susciter autour de lui des vocations, des initiatives, des responsabilités, dont il saura se réjouir sans se flatter. L’ambitieux au contraire s’entoure d’imbéciles dont il ne désire pas la croissance. Gratuité et dépouillement, telles sont les véritables recettes de la réussite, même de la réussite de l’œuvre économique. A quoi assistons-nous d’ailleurs, sinon au grippage de la machine économique dû à un exclusif point de vue de consommateur, égoïste, hargneux, envieux. La question du partage des biens est celle du profiteur dans l’âme, il faut plus de désintéressement pour viser la création des biens.

Je prendrai encore un exemple et je parlerai des réussites scolaires et des réussites de l’intelligence. Eh bien ! ce n’est pas en les rendant ambitieux que vous ferez de vos enfants des intelligences fécondes, c’est en les ouvrant à la générosité du cœur. Les autres formes d’intelligence font des machines dont on se sert un temps avant de les jeter. Le calculateur qui refuse de son temps, cherche à se conformer à l’examen, élabore des tactiques, se prive des vraies joies de l’intelligence qui sont, en outre, les plus efficaces. Combien d’intelligences mécaniquement bien construites ai-je vu s’abîmer parce qu’elles n’ont pas eu la générosité de lire hors programme, de donner de leur temps, parce qu’elles ne se sont pas souvenues d’être joyeuses ou audacieuses. Pascal nous en avertit : la Charité n’est pas en-dessous de l’intelligence mais au-dessus. C’est elle qui fonde toute vraie perspicacité. Que valent toutes nos connaissances si elles perdent le but fondamental qui est celui de l’amour ? Et ceci est vrai en classe. Une fois de plus la réussite d’une oeuvre est proportionnelle au dépouillement de celui qui la vit (combien est-ce vrai en politique !) La vanité est impatiente, commence et ne finit jamais, la vanité gâche tout. La source de toute constance dans l’effort, la patience qui fait accepter les affrontements, les assauts de l’envie, les mille obstacles de la vie quotidienne, ce n’est pas l’ambition, c’est l’amour. Celui qui se pose en propriétaire de sa vie, en propriétaire de son oeuvre sera incapable de ce dépouillement et de cette disponibilité qui fait qu’on en veut la réussite. Au lieu donc d’avoir la conviction qu’il faut exploiter les vices des hommes : envie, ambition, peur du châtiment, haine du premier, il est bien plus juste spirituellement et plus efficace d’apprendre à l’enfant les ressources de fécondité qui sont en lui. Générosité, amour, dépouillement, admiration, telles sont les véritables armes de la réussite d’une œuvre. Cessons de confondre bon et bête.

Non-sens de la réussite

Autant il est juste de parler de la réussite d’une oeuvre, autant il est sot de parler de la réussite d’une vie comme il est sot de parler de bilan d’une vie. Réussir sa vie, réussir sa vie de couple, réussir sa vie chrétienne, réussir sa prière, réussir l’éducation de ses enfants : autant de domaines auxquels on étend abusivement la notion de réussite, lui retirant toute signification. Pourquoi, ainsi étendue, cette notion est-elle un non-sens ?

Sens et but

Parler de réussite suppose que l’on vise un but, que l’on puisse atteindre au bout d’un certain temps et dont on puisse vérifier s’il est atteint. Ainsi la volonté d’atteindre un but va-t-elle faire apparaître le temps comme une réalité que l’on peut organiser, diriger. Mais aucune réalité personnelle ne se planifie à la manière d’une œuvre : en présence de l’amour, de la foi, de la vie, la notion de but perd toute valeur et il faut lui préférer celle de sens. Quel est le but de la vie du couple ? En revanche on peut se demander quel est son sens. Quel est le but de la Vie ? Y a-t-il un but tel que, si je l’atteins, ma vie est réussie (ou, si je le rate, ma vie est ratée) ?

En revanche, la question du sens peut se poser. La différence entre le sens et le but, c’est que le but est dans l’avenir et que l’atteindre ou non ne dépend que relativement de moi. Le sens, quant à lui, peut être accompli à chaque instant, que j’aie ou non atteint le but. Ainsi le tricheur peut atteindre un but sans jamais accomplir le sens de son acte. Cette distinction signifie que nous ne pouvons jamais planifier une vie, ni parler d’une vie réussie ou ratée, que nous ne pouvons nous poser en propriétaire de notre vie. Lorsque quelqu’un a le sentiment d’avoir « raté » sa vie, cela dévoile simplement qu’il s’était abusé en mettant le sens de sa vie dans un but relatif. Celui qui s’écrie face à l’échec « alors ma vie ne vaut plus la peine d’être vécue ! » avait en fait idolâtré un but relatif, situation, foyer, etc… Apprendre à ne pas se comporter en propriétaire de sa vie, à ne pas s’approprier échec ou réussite, c’est aussi apprendre à n’être pas idolâtre.

Quelques attitudes pédagogiques

Légitimement désireux de la réussite de nos enfants, c’est-à-dire de la réussite de leurs œuvres, il arrive trop souvent que nous succombions aux contre-sens remarqués au-dessus et que nous engendrions des vues passablement mesquines. A chacun de reconnaître par où il pèche et dans quelle mesure il court le risque de mutiler l’espérance chez ses enfants. Cependant je voudrais analyser quelques attitudes éducatives (ou plutôt anti-éducatives !) dans lesquelles nous nous reconnaîtrons plus ou moins.

Sur l’orientation

On se scandalise du hasard qui préside au choix d’un métier, on ne se scandalise pas de celui qui préside au choix d’une épouse… Cependant les deux situations sont fort semblables et indiquent que plus une réalité nous importe moins elle se planifie. Au bout du compte, quelles que soient les informations sur les filières et les débouchés, ce sont les hasards de la vie qui décident. C’est qu’en réfléchissant sur les filières et les débouchés on a manqué l’essentiel : le problème n’est pas de préparer une filière ou une carrière mais de préparer un élève, un homme ! En tant qu’enseignant, je suis sans cesse obligé de ramener les considérations de l’élève sur son avenir à des considérations sur son présent.On ne peut pas se tourner vers son avenir comme vers un but et il est malsain aussi d’envisager la société comme un ensemble de cases plus ou moins spacieuses et confortables dans lesquelles il faudrait rentrer. Rien n’est pire que cette vision d’une société toute faite qui fabriquerait les individus qui lui conviennent. Or il est absurde de vouloir s’adapter à ce que demande la société car elle n’est pas encore faite. Présenter la société comme toute faite, il n’y a rien de tel pour créer des mentalités d’assistés. Il serait temps en ce qui concerne l’orientation de comprendre deux choses.

Il n’y a pas de parcours, pas de rails et donc aussi pas de cartes routières ni d’abonnements. Chacun a sans cesse, à chaque seconde, à inventer sa vie ; la réussite ne viendra pas des capacités de prévision, mais de ce qu’est l’enfant ici et maintenant. Se choisir soi-même et non choisir une carrière. Il n’y a pas de débouchés et il n’y en a jamais eu. Aucun professionnel ne vous dira jamais qu’il y a de la place. Car chacun n’a que la place qu’il se fait. C’est donc toujours une erreur que d’apprécier l’importance d’une matière par rapport aux débouchés. Raisonner ainsi, c’est constituer un esprit mesquin auquel tous les débouchés seront refusés.

Sens des responsabilités

Devant l’imprévoyance et la légèreté des enfants, des parents s’interrogent souvent sur l’apprentissage du sens des responsabilités. Comment rendre l’élève ou l’enfant responsable de sa propre situation, lui donner une initiative qui montre qu’il est indispensable ? Actuellement , on se tourne souvent vers deux solutions, qui ne sont peut-être pas mauvaises, mais dont je voudrais indiquer les limites.

Confier des responsabilités, quelquefois importantes, dans les activités parascolaires et dans des services annexes. Cela commence avec le ménage de la classe… Certainement il y a là un apprentissage de la vie en commun. La seule précaution à prendre est de se rappeler que le parascolaire n’a de sens que s’il y a du scolaire. La véritable responsabilité s’exerce par rapport à son travail. J’ai souvent surpris – à ma grande surprise – des élèves en leur montrant qu’à leur modeste place d’élèves ils étaient en train d’exercer la véritable responsabilité sur l’existence.

On a parfois aussi recours au travail pendant les vacances. Sans doute les enfants y apprennent-ils à rencontrer un autre milieu. Mais il ne faut pas que cela laisse penser que les véritables responsabilités sont reportées jusqu’au moment où l’on aura un métier.

Sur l’amour

Dans le domaine si fondamental de la vie affective, qui retentit profondément dans l’ensemble de la personne, c’est encore cet apprentissage de la liberté que l’on découvre. Dans la prudence et la méfiance avec lesquelles la vie affective des enfants est envisagée, on engendre souvent une effroyable mesquinerie. J’ai, en effet, trop souvent, observé chez des parents que ce qui fait peur, ce n’est pas l’amourette anodine, le flirt passager, la rencontre banalisante, ce qui fait peur, c’est l’amour. Il y a là quelque chose de redoutable : on accepte ce qui est le plus dévalorisant avec une certaine indulgence alors que, dans le même temps où l’on prétend parler de responsabilité, on a peur de la réalité de l’amour.

Quelle est l’idée qui préside à cette méfiance ? Avouons-le, c’est la priorité des études conçues comme le vrai sérieux, l’amour, lui, étant seulement « dangereux » ! Comment prétendre alors donner une vision généreuse de l’épanouissement de l’intelligence si on se méfie de ce qui est le plus qualitatif en l’être, si on sacrifie la morale elle-même à des impératifs scolaires ?

Ajoutons que derrière un tel raisonnement, il y a la conviction secrète qu’un amour véritable ne peut pas être une possibilité de croissance. Vision passionnelle de l’amour.

La Croix

Toutes ces remarques doivent nous permettre de comprendre à quel point nous rendons la vie dérisoire avec nos points de vue de malins qui sont aussi le point de vue du Malin. « Qui veut sauver sa vie la perd », quelle pensée plus réaliste que celle-ci ? Nous sommes alors au-delà de l’échec et de la réussite.

Quel plus grand échec que celui de la Croix ? Bafoué, souffrant, isolé, incompris de tous, Jésus nous montre comment l’amour seul, une générosité toujours plus grande peut convertir l’échec en gloire. Ce qui importe alors, ce n’est pas de réussir ou de rater. Qui manque à la vie intérieure manque à tout, disons-nous avec Saint-Vincent de Paul ; on peut dire équivalamment : qui manque à l’amour manque à tout. L’échec aussi bien que la réussite pour celui qui est sans charité feront naître la hargne et le mécontentement. La réussite emplira de morgue, de suffisance et provoquera cette fermeture terrible du cœur de celui qui est satisfait ; l’échec engendrera le ressentiment.

Apprenons la générosité à nos enfants, nous leur aurons appris à aller au-delà de la réussite ou de l’échec.